Depuis les années 1990, l’Afrique de l’Ouest semblait engagée sur la voie d’un renouveau démocratique. Les dictatures militaires d’après-indépendance s’effaçaient peu à peu, laissant place à des transitions civiles, des élections multipartites, et une société civile de plus en plus éveillée. Mais aujourd’hui, plus de trente ans après cet élan démocratique, un constat s’impose : la démocratie ouest-africaine vacille. Coups d’État, révisions constitutionnelles, élections contestées, répression des voix critiques… Que reste-t-il du rêve démocratique en Afrique de l’Ouest ?
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Retour en arrière : la tentation autoritaire
Le Mali, le Burkina Faso, la Guinée : trois pays, trois putschs en moins de trois ans. À cela s’ajoutent les tentatives de révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire, au Togo ou encore au Sénégal, souvent destinées à permettre aux présidents sortants de se maintenir au pouvoir.
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L’armée revient au-devant de la scène, parfois acclamée par des populations exaspérées par la corruption, le chômage et l’insécurité. Ce retour du sabre dans l’arène politique, légitimé par des discours de « sauvetage national », marque un recul net de l’ordre constitutionnel et soulève une question douloureuse : la démocratie a-t-elle échoué à répondre aux attentes populaires ?
Le mythe des élections libres et justes
Bien qu’elles soient fréquentes, les élections ouest-africaines sont souvent entachées d’irrégularités, de violences ou de manipulations. Le vote devient un rituel vide de sens pour bon nombre de citoyens, convaincus que les résultats sont connus d’avance.
Dans certains pays, l’opposition est muselée, les médias sont réprimés, les institutions électorales manquent d’indépendance. Le multipartisme existe, mais le pouvoir reste concentré dans les mains d’une élite politique qui se renouvelle peu.
Le paradoxe est flagrant : les formes démocratiques sont là, mais les fondements (justice, transparence, alternance, liberté d’expression) sont fragiles.
Une jeunesse désenchantée… mais engagée
Avec plus de 60 % de la population ouest-africaine âgée de moins de 25 ans, la jeunesse devrait être le moteur de la démocratie. Pourtant, elle est souvent exclue des processus décisionnels. Les partis politiques restent dominés par des figures vieillissantes et peu ouvertes au renouvellement.
Mais la jeunesse n’est pas passive. De Dakar à Lomé, de Conakry à Abidjan, des mouvements citoyens émergent, réclamant plus de justice sociale, plus de transparence, plus d’écoute. Des collectifs comme Y’en a marre (Sénégal), Balai Citoyen (Burkina Faso), Tournons la page (Togo), ou encore Afrikki Platform montrent que la flamme démocratique est toujours vivante, bien que malmenée.
Internet, nouvelle agora démocratique… sous surveillance
Les réseaux sociaux sont devenus un terrain d’expression et de mobilisation pour de nombreux jeunes Africains. Mais cette liberté numérique est de plus en plus menacée : coupures d’Internet pendant les élections, arrestations de blogueurs, censure en ligne…
Les autorités, conscientes de la puissance des outils numériques pour organiser la contestation, multiplient les lois liberticides pour contrôler l’espace numérique. Pourtant, dans un contexte où les médias traditionnels sont souvent inféodés au pouvoir, le numérique reste un levier majeur pour la démocratie participative.
Entre cycles de crises et transitions piégées
L’Afrique de l’Ouest oscille entre espoirs de transition et retours brutaux à l’autoritarisme. Les processus de dialogue sont souvent récupérés ou manipulés, les conférences nationales ont perdu leur pouvoir transformateur, et les sociétés civiles peinent à transformer l’indignation en action durable.
Les partenaires internationaux, eux, semblent parfois plus préoccupés par la « stabilité » que par la démocratie réelle, tolérant des régimes douteux au nom de la lutte contre le terrorisme ou de la coopération économique.
Et maintenant ? Repenser la démocratie, localement et en profondeur
Il est temps de reconnaître que la démocratie importée n’a pas pris racine partout. Le modèle occidental basé uniquement sur le vote et le multipartisme formel ne suffit pas. L’Afrique de l’Ouest a besoin de repenser sa démocratie à partir de ses réalités sociales, culturelles et historiques.
Cela implique :
Renforcer l’éducation civique et politique dès le plus jeune âge.
Décentraliser le pouvoir, pour rapprocher l’État des citoyens.
Redonner du pouvoir aux institutions traditionnelles, tout en les modernisant.
Garantir une justice indépendante, protectrice des droits fondamentaux.
Créer de véritables espaces d’expression pour la jeunesse.
La démocratie ouest-africaine n’est pas morte, elle est en chantier
La démocratie en Afrique de l’Ouest traverse une zone de turbulences. Mais elle n’est pas un échec. Elle est un chantier inachevé, un processus heurté, parfois confisqué, mais toujours revendiqué.
Le véritable défi n’est pas de copier des modèles, mais de bâtir des démocraties africaines enracinées dans les réalités du continent, portées par ses peuples, surtout sa jeunesse, et ancrées dans des valeurs de dignité, de justice et de solidarité.
Car la démocratie ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne se protège pas seule, elle se défend.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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