Chaque 3 Mai, le monde célèbre la Journée internationale de la liberté de la presse. Une occasion de rendre hommage aux journalistes qui exercent leur métier avec courage, de dénoncer les atteintes à la liberté d’informer et d’évaluer les progrès – ou les reculs – de ce droit fondamental. En Afrique de l’Ouest, le tableau reste contrasté, entre avancées prometteuses, zones d’ombre persistantes et urgences à traiter.
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Un état des lieux alarmant malgré des poches de progrès
Selon le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF), la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest connaît une dégradation notable depuis cinq ans. Des pays naguère considérés comme des bastions du journalisme libre reculent dans le classement mondial, tandis que d’autres, longtemps autoritaires, amorcent une timide ouverture.
Le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou encore le Niger — tous dirigés aujourd’hui par des régimes militaires — voient leur espace médiatique se rétrécir. Les journalistes y font face à des suspensions de médias, à des menaces, voire à des arrestations arbitraires, souvent sous prétexte de “sauvegarde de l’ordre public”.
En Guinée, des radios privées ont été suspendues. Au Burkina Faso, des correspondants étrangers ont été expulsés. L’accusation récurrente d’“atteinte à la sûreté de l’État” devient un levier pour museler les voix critiques. Pire encore, dans certaines zones touchées par le terrorisme, les journalistes peinent à couvrir les faits en toute sécurité, pris entre la censure officielle et les menaces des groupes armés.
Des journalistes sous pression, entre censure, auto-censure et précarité
La liberté de la presse ne s’évalue pas seulement à travers les textes de loi, mais aussi au regard du quotidien des journalistes. Dans bien des rédactions ouest-africaines, les journalistes travaillent dans des conditions précaires, mal rémunérés, sans assurance, et parfois sans formation adéquate à l’investigation ou à la sécurité.
Cette fragilité structurelle favorise l’auto-censure, mais aussi la vulnérabilité à la corruption : certains journalistes deviennent les relais d’intérêts politiques ou économiques, au détriment de l’éthique journalistique. Dans ce contexte, l’indépendance éditoriale reste un combat de tous les instants.
“Sans liberté de presse, il n’y a pas de démocratie. Et sans journalistes libres, il n’y a pas de citoyens bien informés”, rappelle une déclaration conjointe de plusieurs ONG de défense de la presse au Bénin.
Des avancées notables : Bénin, Sénégal, Côte d’Ivoire à surveiller
Malgré ces difficultés, des signes encourageants émergent dans certains pays. Le Bénin, par exemple, après une période de répression marquée entre 2019 et 2021, semble vouloir relancer un dialogue entre les autorités et les médias. Le Sénégal, même dans un contexte politique tendu avant l’élection présidentielle de 2024, a pu voir émerger de nouveaux médias indépendants et digitaux.
En Côte d’Ivoire, la presse bénéficie d’une autorité indépendante (l’ANP), même si ses moyens restent limités. Des médias d’investigation en ligne comme “Ivoire Check” ou “Allô Police” tentent de faire vivre un journalisme de qualité, malgré les pressions.
L’émergence du journalisme numérique : un double tranchant
Avec l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, une nouvelle génération de journalistes et de créateurs de contenu émerge. YouTube, Facebook, TikTok deviennent des vecteurs d’information alternatifs. Mais cette libéralisation de l’espace numérique s’accompagne de nouveaux défis : désinformation, manque de vérification des sources, harcèlement en ligne.
Dans plusieurs pays, les gouvernements réagissent par des lois “cybercriminalité” floues, utilisées parfois pour criminaliser la publication de contenus jugés critiques. Ces législations, si elles ne sont pas encadrées par des garanties judiciaires fortes, risquent de devenir les nouveaux outils de la censure 2.0.
Liberté de la presse et justice : le besoin d’un cadre protecteur
Dans la plupart des pays ouest-africains, les atteintes à la liberté de la presse restent rarement punies. L’impunité est un frein majeur : journalistes tabassés, menacés, tués parfois — sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit menée.
La dépénalisation des délits de presse, souvent promise mais rarement mise en œuvre, est encore attendue dans plusieurs États. Il ne s’agit pas de donner un “passe-droit” aux journalistes, mais de garantir que l’exercice de leur mission ne soit pas assimilé à un crime d’opinion.
Que faire pour améliorer la situation ?
À l’occasion de ce 3 mai 2025, plusieurs pistes d’action sont urgentes :
Renforcer les capacités professionnelles des journalistes, notamment en matière de vérification des faits, de sécurité numérique, et de journalisme d’investigation.
Garantir l’indépendance des organes de régulation.
Encourager le pluralisme médiatique, notamment en soutenant les médias communautaires et les jeunes rédactions numériques.
Faire pression sur les gouvernements pour réformer les lois liberticides, tout en luttant contre la désinformation de manière transparente.
Une presse libre, c’est une société plus juste
En Afrique de l’Ouest comme ailleurs, la liberté de la presse est la colonne vertébrale de toute démocratie. Elle permet de poser les bonnes questions, d’alerter, de dénoncer les abus, et d’éclairer les choix des citoyens.
En ce 3 mai, il ne s’agit pas seulement de dresser un constat — il s’agit de renouveler un engagement collectif : celui de défendre, coûte que coûte, le droit de dire, d’écrire, d’enquêter, et de publier.
Une presse muselée est une société aveugle. Une presse libre, c’est un peuple debout.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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