Une équipe d’une chaîne de télévision a été interpellée dimanche 13 avril 2025 à l’aéroport de Cap Skirring, à Ziguinchor. Cette interpellation choc de journaliste d’Al Jazeera relance le débat sur la liberté de presse dans un pays jusque-là réputé pour son ouverture envers la presse étrangère.
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Le dimanche matin, une situation pour le moins inhabituelle a secoué le milieu de la presse internationale au Sénégal. Une équipe de la chaîne de télévision Al Jazeera, composée de son chef du bureau pour l’Afrique de l’Ouest, Nicolas Haque, et de sa camérawoman Magali Rochat, a été interpellée à son arrivée à l’aéroport de Cap Skirring, à Ziguinchor.
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En mission de reportage sur le retour des déplacés de guerre dans les villages de Casamance, les deux journalistes ont été arrêtés par les forces de l’ordre, avant d’être interrogés puis relâchés… sans leurs équipements ni leurs passeports.
Selon un communiqué de l’Association de la Presse Étrangère au Sénégal (APES), les journalistes étaient dûment accrédités auprès des autorités sénégalaises, comme l’exige la réglementation. Ce qui rend cette interpellation d’autant plus surprenante et préoccupante.
« Ils ont été conduits dans les locaux de la gendarmerie, interrogés séparément, pendant près d’une heure, avant d’être libérés. Mais leur matériel de reportage ainsi que leurs passeports leur ont été confisqués », déclare le communiqué.
Un acte perçu comme une tentative d’intimidation
Si les autorités locales n’ont pas encore fourni d’explication officielle, cette action soulève des interrogations sur une volonté de contrôler ou censurer le traitement médiatique de la situation en Casamance, région historiquement marquée par une instabilité liée à des revendications indépendantistes. Le sujet reste sensible, et les autorités sénégalaises semblent craindre toute couverture qui pourrait raviver les tensions ou attirer une attention internationale jugée indésirable.
Pour plusieurs observateurs, cette interpellation constitue un signal alarmant sur l’évolution de la liberté de la presse au Sénégal. « C’est un tournant. Le Sénégal n’a jamais connu une telle mesure contre des journalistes étrangers accrédités. On franchit une ligne rouge », explique un ancien correspondant étranger à Dakar, sous couvert d’anonymat.
Une tradition d’ouverture remise en question
L’APES, dans une déclaration ferme, exige la restitution « sans condition » du matériel de travail des journalistes et condamne une entrave « sans précédent » à la liberté de la presse au Sénégal. Elle souligne que depuis sa création en 1963, elle n’a jamais été confrontée à une telle situation.
« Nous avons toujours entretenu des relations professionnelles respectueuses avec les autorités sénégalaises. Ce genre de traitement ne reflète ni la tradition d’accueil du Sénégal, ni son image de bastion de la liberté de la presse en Afrique », déclare un représentant de l’association.
Le Sénégal, souvent cité comme modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, s’est illustré par une relative liberté de la presse, avec une forte présence de correspondants internationaux. Ce dernier événement pourrait ternir cette réputation.
Une affaire à suivre de près
Alors que les journalistes ont été renvoyés à Dakar, l’incertitude plane encore sur la suite : leur matériel sera-t-il restitué ? Seront-ils autorisés à poursuivre leur reportage ? Des sanctions vont-elles être prises contre les autorités locales ayant ordonné cette interpellation ?
Des ONG comme Reporters Sans Frontières et le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) pourraient prochainement se prononcer sur cette affaire. En attendant, l’incident laisse planer un doute sur la liberté réelle des médias, surtout lorsqu’ils s’intéressent à des sujets politiquement sensibles.
Encadré : Pourquoi la Casamance attire l’attention ?
La Casamance est une région au sud du Sénégal, séparée du reste du pays par la Gambie. Elle a été le théâtre d’un conflit armé latent depuis les années 1980 entre l’État sénégalais et des mouvements indépendantistes. Depuis 2012, une accalmie relative permet aux populations déplacées de revenir progressivement dans leurs villages. C’est cette réalité que l’équipe d’Al Jazeera cherchait à documenter, dans un contexte de reconstruction sociale et politique.
Dimitri AGBOZOH- GUIDIH
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